Logiciel libre : plus et moins

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Que penser du phénomène des logiciels libres tels Linux, Apache ou la nouvelle version de Navigator ? Pour une fois, ne cédons pas à la frénésie du lancement médiatique (qui ne fait que préparer les désillusions futures) et essayons de raisonner en utilisant nos méninges et notre expérience : Quel est le " plus " de cette "création assistée par Internet "? La possibilité de mobiliser à travers le monde un groupe de développeurs de très bon niveau, disponibles et motivés, ce qui donne à la fois une rapidité de développement et une réactivité inégalées, en particulier par les éditeurs traditionnels. Où sont les " moins " ? Les aléas devraient être ceux qui sont bien connus de tous les chefs de projet : la gestion, la communication, la prise en charge des fonctionnalités de service et la maintenance. Il est déjà délicat de gérer un projet ambitieux lorsque l’on a tout le monde sous la main. On peut imaginer le problème avec une équipe multi-nationale disséminée à travers le monde et dialoguant par messagerie : il faut un super chef de projet . Linus Torvald l’est incontestablement, mais sa décision de travailler pour le privé a eu un impact sensible sur le dynamisme de l’évolution de Linux. Par ailleurs, tout gros projet pose un problème de méthode, en particulier pour documenter, communiquer et informer l’ensemble des développeurs : ce manque de " support commun " risque de limiter le logiciel libre aux seuls domaines bien connus par tous et standardisés (comme par exemple une nouvelle version innovante d’Unix telle que Linux) ou a des projets relativement peu complexes comme un serveur HTTP (cas d’Apache). En outre, un logiciel n’est pas fait que de développements modernistes, avancés et intéressants : 50, 60, 70 % du code d’un OS et de tout logiciel est destiné au " service " : déclinaison de drivers, conversions de formats, outils d’installation, interfaces,…etc. C’est sans doute là une des raisons de l’échec de la " mise en liberté " du Navigator de Netscape. Qui se dévouera parmi ces développeurs d’exception pour " pisser la ligne " ? Enfin, la durée de vie d’un OS est supérieure à 15 ans, celle d’un applicatif à la moitié de celle d’un OS. Qui va se charger de la maintenance et de la pérennisation (tâche également peu valorisante), sachant que le " turn-over " de ces développeurs sera inévitablement fort ? C’est sur tous ces " moins " qu’il faut maintenant se pencher afin de leur trouver une solution originale, " orientée réseau ", permettant de rendre complètement crédible l’approche et de consolider son expansion. Cette solution devra également tenir compte d’un autre aspect du problème plus " philosophique ", constitué par la récupération (bien réelle) des développements par les sociétés commerciales. Ce problème risque de devenir de plus en plus sensible si le succès de la formule se confirme : jusqu’à quand des gens acceptent-ils de travailler gratuitement pour voir le résultat de leur travail commercialisé par d’autres qui eux en tirent profit?